Chapitre 10

Et le fier officier de police, bedaine gorgée de kaboulis bien graisseux en avant, suivi par deux subalternes intimidés par The Lounge, s’approcha d’un pas vif vers ce pauvre Benoît décomposé.
« Heu, excuse me, but… » Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Marc, le torse bombé par l’assurance de celui qui en a vu d’autres – trente ans dans des pays post-conflits tout de même-, s’interposa. « Mister Hugaut, it is me ! Yes, it is me !! »
La suite fut confuse. La seule personne qui aurait pu apporter ses compétences linguistiques, Tom, préférait ne pas trop exposer son statut diplomatique dans ce pataquès et restait coi. Marc avait passé deux ans à essayer d’apprendre le Dari avant de mettre deux ans à l’oublier, ne parlant avec son équipe que dans un sabir anglais au fort accent gersois, mais il réussit à exiger une explication du commandant intrusif. Cela faisait des mois qu’il s’attendait à voir débarquer les services de l’hygiène, donc il perdit de sa contenance en apprenant que cette gendarmesque autochtone était là pour tout autre chose : un voisin avait porté plainte pour tapage nocturne. « Une femme a hurlé devant votre restaurant… comme un cochon qu’on égorge ». Marc traduisait mentalement ce que disait l’officier dans un mélange d’Anglais et de Dari, et n’était sûr de rien quant à l’expression porcine. Mais il comprit fort bien que si dans le passé des clients avaient bien abusé dans leurs joyeusetés, question nuisance sonore, cette fois si la mesure avait été dépassée, le mur du son peut-être franchi.
Benoît avait quatre idées en tête au même moment, ce qui lui donnait un air totalement ahuri : il était soulagé qu’on ne l’arrête pas et se félicitait de ce répit qu’il devinait provisoire ; il cherchait une relation entre la voiture UN tachée de sang et Judith, dont l’enquête à hauts risques dans une usine de faux médicaments avait probablement écourté dramatiquement son séjour en terre afghane et sur la terre tout court ; il regrettait que cette histoire de loge franc-maçonne tourne en eau de boudin car il trouvait cela pittoresque à souhait ; il craignait enfin qu’avec tout ça, il n’y ait plus de plat du jour – il ne ratait jamais la saucisse de Toulouse-purée du samedi.
Marc, qui savait gérer à merveille les relations avec les autorités locales, offrit un thé vert aux représentants de la maréchaussée, qu’ils refusèrent – visiblement déçus qu’on ne leur fasse pas goûter de l’alléchante bouteille de Gewürztraminer entamée sur la table. Il s’engagea solennellement à se rendre au poste de police dès potron-minet, remit son passeport en guise de bonne foi et une enveloppe pour les frais de déplacement, que l’officier fit mine de refuser en lorgnant toujours sur le nectar alsacien.
A ce moment là, le téléphone de Judith, posé justement à côté de la longue bouteille si caractéristique, se mit à sonner. D’une manière agressive. Comme une menace.

 

 
à suivre...