Chapitre 13

 

Tom eclata de rire, d’un rire puissant et sonore qui resonna dans le petit lounge rougeatre comme dans un caveau. La bouche grande ouverte, il ecarquillait les dents et semblait ne jamais devoir cesser de se vautrer dans le fumier de sa joie etrange et deplacee, compte tenu des circonstances plutot dramatiques : le sang de Judith trouve dans la jeep onusienne, la filiere pakistano-ouzbeko-alqaidiste de fabrication de medicaments frauduleux exportes –avait ajoute Daoud- sous la burka grace a la complicite de certaines tribus nomades kutchis, le belge volage egare dans la nuit kaboulie, le coup de fil de l’afghan-americain etonnament perspicace…
« Franchement, je vois pas ce qu’y a de drole » songea Benoit, que l’incident avait rendu encore plus livide qu’il ne l’etait au chapitre precedent, si bien qu’il etait desormais plus blanc que blanc.
Cette pensee, banale helas, fut la derniere qui traversa son cerveau tumefie par l’emotion. Trop, c’en etait trop, et la nuit se fit en lui, une nuit constellee d’etoiles filantes qui etaient autant de songeries remuantes et furibondes qu’il agitait dans l’air noir, tel un vieux singe jouant betement avec des cailloux dans un petit zoo sale et triste.
Les murs se mirent a tourner autour de lui, sa langue se mit a s’agiter en tous sens dans sa bouche, ses yeux continuerent de rouler et, sous le regard interloque et vaguement sceptique de Marc, il sortit precipitamment de la piece en bredouillant des mots sans queue ni tete, mais avec des oreilles et deux sourcils. Le malheureux heurta de l’epaule Enayat, et, sous la violence du choc, s’ecroula pesamment dans l’escalier, en se faisant un mal de chien. Arrive au rez de chaussee, il se releva en gemissant, rouge de confusion (ce qui n’etait pas si mal, dans le sens ou il etait vraiment tout blanc avant), et franchit en trois pas hesitants le blanc ballet furtif des serveurs de l’atmo et la foule compacte des clients effares, pour se retrouver devant la porte beante du restaurant.
De la, il jeta un regard egare vers le jardin que les soins meticuleux de Marc avait metamorphose en un eden verdatre et fascinant. Au loin, les lapins reveurs sifflotaient sous la lune. Le petit couloir de beton qui se faufilait rapidement jusqu'à la sortie – jusqu'à la rue et –qui sait- jusqu’au cadavre mou-, lui sembla, dans sa folie, etre un ponton s’avancant avec intrepidite au milieu d’une mer tempetueuse. Les projecteurs repandaient ca et la des taches de lumiere eblouissantes qui transformaient le gazon en une eau verte et vaguement translucide (que Benoit opposa mentalement, dans un restant de lucidite, a la purete immaculee de la piscine du restaurant, meme apres le week-end).
Il se mit en route sur le ponton, et pressait le pas nerveusement, quand soudain, une voix familiere retentit dans l’obscurite, et lui fit lever les yeux, qu’il n’avait cesse de rouler, vers une grosse tache blanche et disgracieuse perchee dans un arbre, juste a cote de la table de ping-pong.
« Hi Benoit… la forme ? »
L’interpellation lui fit, en un clin d’œil, recouvrer ses esprits, et c’est stupefait qu’il murmura :
« Daoud ? mais qu’est-ce que tu fous la ? »

 

à suivre...