Chapitre 15

Pourtant, à quelques heures du coup d’envoi, Judith refit parler d’elle…
C’est Benoît qui fût le premier prévenu : la rédaction parisienne de RFI l’avait appelé avec une info à laquelle il ne s’attendait plus : Judith était apparue sur une bande vidéo diffusée par la chaîne quatarie Al-Jazaira !
Dominique l’avait appelé dès qu’elle avait aperçu l’image de la jeune fille, et n’avait même pas encore la traduction de ce qu’elle pouvait dire. L’image abîmée ressemblait à celle que l’on voit habituellement, mais Judith n’avait pas l’air d’être menacée. « C’est même plutôt elle qui avait l’air menaçante… »
Fonçant à L’Atmo qui lui servait de cyber café, Benoît se disait qu’il tenait peut-être là l’affaire de sa vie. Depuis quatre mois, il n’avait cessé d’accumuler les éléments, de recouper ses informations, d’interroger les gens. Il savait qu’il marchait sur des œufs, tout le jeu étant de ne pas finir comme Judith. A moins que Judith n’ait pas fini si mal… C’était l’une des hypothèses qu’il se refusait à éliminer : et si Judith n’avait pas été victime, mais qu’elle avait disparu sciemment ?
Après tout, le sang retrouvé dans la voiture interceptée n’était pas le sien (Médecins pour la liberté faisait faire des analyses sanguines à tout ses volontaires, et l’analyse approfondie avait dévoilé que la première conclusion était fausse). Aucune revendication n’avait non plus suivi sa disparition, ce qui, quatre mois après, n’avait pas de sens (et avait contribué à faire disparaître petit à petit l’événement de l’actualité).
Mais Benoît recensait d’autres éléments troublants : Judith s’était intéressée au trafic de faux médicaments, elle s’était même rendue plusieurs fois dans l’usine clandestine – démantelée par la police locale depuis. Des résidus chimiques, si tenaces qu’ils avaient même résisté au lavage, avaient été trouvés sur plusieurs de ses vêtements – une info confidentielle que Benoît avait obtenu à force d’abnégation auprès des enquêteurs français qui était venus six semaines. Pourtant, elle semblait n’en avoir parlé à personne.
Benoît avait poussé ses recherches en allant voir toutes les cliniques que Judith était censée visiter une fois par semaine. Ces dernières n’avaient bien évidemment pas le recensement précis des venues de la jeune fille. Mais celles qui étaient dans des ruelles, non accessibles aux voitures, semblaient dire qu’elle avait raté quelques-unes de ses visites hebdomadaires. « Elle s’excusait chaque fois la semaine suivante, elle était si gentille… » Sauf que l’une des infirmières l’avait vu une fois descendre de la voiture de Médecins pour la liberté qui l’avait accompagné, s’engouffrer dans la ruelle, et en ressortir presque aussi vite pour remonter prestement dans une autre voiture…
L’obsession de Benoît tournait-elle à la démence ? Que Judith ait un beau tapis de prière dans sa chambre, cela pouvait se justifier par la beauté de l’objet. Qu’elle ait décidé un jour de s’arrêter de boire, cela ne pouvait être critiquable. Qu’elle ait refusé à Benoît, cela l’avait presque choqué sur le coup, une tranche du délicieux saucisson corse qu’il avait rapporté de vacances, cela ne pouvait être une preuve. Il n’empêche que cela faisait beaucoup d’éléments troublants : Judith se serait-elle convertie à l’Islam ?
En entrant dans le jardin de L’Atmo, Benoît sentit une ambiance électrique. Marc ne lui laissa pas le temps de respirer. « Le journaliste vient donner un coup de main pour les préparatifs? A moins qu’il ne prépare déjà son papier sur la communauté française de Kaboul vibrant pour la finale de la Coupe du Monde ? Je t’offre pas un verre tout de suite, la tournée générale de champagne va me ruiner en cas de victoire… »
L’air consterné de Benoît désarma Marc, qui ne pouvait s’empêcher une certaine affectation pour ce jeune homme si souvent triste et désabusé. Il se décida à lui offrir quand même un petit remontant quand le téléphone de Benoît retentit.
« C’est Dominique, t’as sans doute pas encore eu le temps de trouver la traduction. Alors écoute bien, c’est gratiné… »

 


 

à suivre...