The end (la faim)

« C’est Dominique, t’as sans doute pas encore eu le temps de trouver la traduction. Alors écoute bien, c’est gratiné… »

Benoît tournait autour de la piscine belle comme un lagon caraïbéen tout en écoutant le texte qu’on lui lisait au téléphone. Il roulait des yeux, effaré. Il finit par raccrocher sans rien dire et resta là, échoué sur une chaise longue brinquebalante pendant de longues minutes. Même La Marseillaise ne le sortit pas de sa torpeur. L’Atmo n’avait jamais été aussi plein. Les fans s’étaient assis comme ils pouvaient dans tous les coins du fond du jardin, dans le périmètre du terrain de pétanque, devant la toile qui servait d’écran géant. Quelques Italiens narquois avaient osé se glisser dans cette foule pro-Zizou.

Que Judith ait organisé son propre kidnapping pour faire passer au monde entier un message de paix, de non-violence et d’amitié entre les peuples et les religions, avait faire prendre à Benoît toute la mesure de sa petitesse, de son inutilité, de l’arrogance de son métier, et de la bêtise de tous ses confrères, ces journalistes incompétents, fainéants et à la botte des pouvoirs. Alors que montait inexorablement la force de l’opinion publique planétaire, Judith avait parfaitement ajusté son tir et sa voix portait loin, allait certainement bouger des lignes, mettre du baume aux cœurs à tous les opprimés et les victimes des puissants de toutes sortes. « Bien joué Edith ! »

Elle avait même un mot d’explication que Benoît pris pour lui : « si quelqu’un, d’un peu naïf, a cru voir un cadavre devant le restaurant L’Atmosphère – je salue au passage toute la sympathique équipe ! – qu’il ne s’en fasse pas : dans mon plan, pour faire une blague à la presse, pour voir comment ils travaillaient, j’avais mis là provisoirement un mannequin… J’ai finalement réalisé que cela ne tromperait personne et je l’ai enlevé… »

L’Atmosphère exposait tous ses charmes nocturnes : les lampes-cages à oiseaux, l’épaisse végétation balancée par la brise, le ballet réglé des serveurs vêtus comme dans les meilleures brasseries parisiennes…

Benoît essaya de s’approcher du spectacle, mais resta debout, loin de l’écran, bloqué par un groupe compact d’Anglo-saxons pro-Thierry Henry, chacun cramponné à sa Corona.
Il aperçut Marc, boudiné dans son maillot de Zidane, enchaînant des coupes de champagne chaud pour noyer sa nervosité et fêter une victoire anticipée.


Benoît passa de l’amertume – « un coup de boule, c’est tout ce qu’ils méritent… » murmura-t-il à la fin du match, mais il ne semblait pas évoquer seulement les Ritals – à une certaine euphorie. Manu, le barman ex-journaliste – il avait tout compris, lui ! – offrait des coups à tout le monde sous l’œil inquiet de Marc et avait mis en route sa play-list américano-bretonno-toulousaine : « Motivés », « C’est quand le bonheur ? », « I will survive »…

« I will survive ! » s’écria joyeusement Benoît, poussé à son tour dans la piscine…
Le monde n’allait pas si bien que ça. Mais ce fut un bel été.

Fin