Chapitre 5

 

- Qui ? Moi ? Dany qui ?

- Daniel Vanstratten, un entrepreneur belge… »

Benoît ne se sentait pas le courage de faire des phrases de plus de trois mots, d'autant que le grand sourire plein de dents de son interlocuteur le figeait d'effroi. Se pouvait-il que cet Américain soit l'homme dont la femme entretenait une liaison secrète avec Daniel ?

Les secondes s'écoulaient aussi lentement que les perles de sueur sur le front de Benoît. Vite, vite, répondre quelque chose : « Je… je n'ai jamais été en Belgique… » , bafouilla-t-il, en fixant ses souliers pleins de boue. « Cela ne fait rien. Certains belges s'aventurent au-delà de leurs frontières» , répondit le grand sourire plein de dent. « Et parfois même, ils franchissent des frontières interdites » , susurra le sourire, avant de croquer dans l'entame d'un gros cigare cubain.

Enayat déposa la quiche au confit de canard et le verre de vin des Corbières à huit dollars devant Benoît en déclamant haut et fort: « Quiche au confit de canard et verre de vin des Corbières ... » « … à huit dollars » , songea Benoît en caressant son portefeuille à travers sa poche de pantalon. Cet interlude gastronomique redonna à Benoît un zeste d'énergie. Il se leva d'un bond et informa l'Américain : « Je vais aux toilettes, pourriez-vous surveiller mon canard ? » « Il ne risque pas de s'envoler, vu son état » ironisa l'Américain en crachant le bout de cigare qui, imbibé de salive s'en alla rissoler dans le foyer de la cheminée.

Il s'agissait d'une ruse. Car Benoît, saoul de stress et de fatigue, ambitionnait de quitter le restaurant au plus vite. En prenant la porte, derrière la cuisine, puis en longeant le jardin par son mur ouest, il pouvait atteindre la rue en moins de quinze secondes. Oui mais. Trois fois mais. La morte, cette Ophélie dans son bain de boue, comment Benoît trouverait-il la force de recroiser son regard vide et vitreux ? En sifflotant ?

A mi parcours, il marqua un temps d'arrêt. Les lampes basses du jardin, emprisonnées dans des cages à oiseaux en osier ressemblaient maintenant à d'énormes têtes de citrouilles d'Halloween. Elles n'éclairaient rien d'autre qu'un jardin vide en attente de printemps ainsi que la silhouette de Marc qui, bonhomme, se rendait en direction de la sortie. Il reconnut Benoît et demanda : « Oh ! Benoît, tu veux pas m'aider à décharger ma voiture ? J'y ai quelques caisses de   Mort Subite , un nouvel arrivage de bières belges. » « Non, non, non, non, non » , pensa Benoît. « Oh oui, bien sûr ! » , dit Benoît.

Il ne fallait surtout pas que la voiture de Marc soit garée sur la gauche, à quelques mètres du portail d'entrée du restaurant ; c'est exactement là que Benoît avait fait sa rencontre macabre. « Ma voiture est sur la gauche, à quelques mètres de l'entrée » , informa marc de sa voix monotone. Benoît le suivait comme un zombi au bord de la crise d'épilepsie. Il lui fallut une force surhumaine pour articuler un petit « khoda hafez » aux gardes de l'entrée. Marc et lui parcouraient les quelques mètres qui les séparaient de la voiture en silence. Maintenant, si Benoît regardait sur sa droite, dans le caniveau, il y verrait un cadavre. Mais il tourna sa tête vers la gauche, où une tierce personne l'interpella.

« Ben !! Mon con ! Ca fait plaisir de t'voir ! J'ai une putain de sacrément bonne nouvelle à t'annoncer ! » Benoît lâcha un petit « ah! » même pas interrogatif en reconnaissant son ami Daniel Vanstratten qui marchait vers lui. « Il va voir le cadavre derrière moi, c'est certain » , pensa-t-il en accusant le choc d'une accolade virile. Daniel cria à pleins poumons : « Oh merde! »

 

Marc venait d'ouvrir le coffre de sa voiture et tourna un visage interrogatif vers le nouveau venu. Daniel s'avança vers lui, tout tremblant. « Mais, putain ! Vous voyez ce que je vois ? De la Mort Subite  ! À Kaboul ! Ma bière préférée ! » Benoît, surpris par l'objet de la surprise de son ami, jeta un oeil sur le caniveau. A son tour il poussa un cri.

Le caniveau était vide. Rempli de boue, certes, mais vide de cadavre. Daniel, trop occupé à décharger les caisses de bières avec Marc n'entendit même pas crier son ami. Benoît, lui s'écroula au sol, ravagé par une tornade émotionnelle hors norme. L'Américain au cigare choisit ce moment là pour sortir par le portail d'entrée de l'Atmosphère. Daniel, en le voyant, lâcha sa cargaison de bières belges au sol et s'en alla en courant au bout de la rue. Le fracas des bouteilles brisées sorti Benoît de son évanouissement, il regarda Marc qui regardait l'Américain qui regardait par là où était parti Daniel. Marc, dubitatif demanda : « Mais, diable, que se passe t il ? » L'Américain sourit : « La quiche au confit de canard va être froide… »

 

à suivre...